Cargo, d’Ivan Engler
En matière de cinéma, il arrive qu’on fasse de bons produits avec peu de moyens. C’est l’impression que j’ai eu en revisionnant Cargo, film sorti en 2009 et injustement oublié des critiques.
Car avec lui, on découvre le cinéma de science-fiction suisse. Oui, il n’y a pas qu’aux Etats-Unis qu’on peut faire un film avec des effets spéciaux ! Les moyens du réalisateur, Ivan Engler, étaient limités : 4 millions d’euros seulement – on est loin des 100 millions de dollars d’un blockbuster hollywoodien moyen. Mais le résultat est tout à fait honorable.
Où Cargo nous emmène-t-il ? Au XXIIIème siècle, en 2267. La Terre est devenue tellement polluée que la vie n’y est presque plus possible. La faune et la flore ont presque disparu, et l’espèce humaine survit péniblement dans des bases spatiales en orbite.
Comme si cela ne suffisait pas, la population est pauvre, car les travailleurs humains ont été entièrement remplacés par des machines. Des groupuscules de résistants, les « Maschinenstürmer » (« Tueurs de machines ») tentent de changer le sytème, mais sans succès jusque là.
Pourtant il y a un espoir : une planète lointaine, RHEA, a été terraformée et colonisée. Elle tourne autour d’une autre étoile, et le voyage prend huit ans, ce qui en fait une destination réservée aux privilégiés.
C’est le cas de l’équipage du cargo Kassandra, chargé de convoyer du fret vers RHEA : le capitaine Lacroix (Pierre Semmler), Lindbergh (Regula Grauwiller), Yoshida (Yangzom Brauen), Prokoff (Claude-Oliver Rudolph), Vespucci (Michael Finger), et le docteur Laura Portmann (Anna-Katharina Schwabroh). Cette dernière ne s’est engagée que dans l’espoir de revoir sa soeur déjà à destination.
En raison de la menace terroriste des « Maschinenstürmer », le Kassandra embarque aussi un officier de sécurité, Samuel Decker (Martin Rapold).
Vu la durée du trajet et l’absence de tâches, tous dorment en sommeil cryogénique, à l’exception d’une personne qui assure la surveillance, avec un roulement tous les huit mois et demi.
Alors que la fin de son cycle s’approche, le Dr Portmann entend des voix provenant de la partie fret. Elle réveille ses collègues qui décident d’explorer la cargaison. Alors que celle-ci est censée contenir des matériaux de construction, ils découvrent un caisson contenant une jeune fille en hibernation.
Portmann envoie alors un message à sa soeur sur RHEA… et reçoit une réponse en quelques minutes, alors qu’il faudrait normalement des années compte tenu des distances à franchir. Elle commence alors à se demander si son employeur ne lui cache pas quelque chose.
De prime abord, le scénario de Cargo est d’une grande banalité : la catastrophe écologique, prétexte pour un voyage, fait penser à Interstellar, la cryogénisation est une technique éculée en SF depuis 2001 l’Odyssée de l’Espace, le huit clos spatial est un genre archi représenté (Alien, Pandorum, Moon), etc.
Pourtant, la réalisation donne au film son intérêt : des acteurs crédibles, une ambiance angoissante, un rythme lent, sans rayons lasers et batailles spatiales, et une histoire plausible qui prend le contrepied de la SF américaine traditionnelle, où l’action débridée prime généralement sur le réalisme.
Ici en effet, pas d’hyperespace façon Star Wars ou Star Trek : les voyages interstellaires durent des années, ce qui est compatible avec les connaissances physique actuelles où la vitesse maximale est celle de la lumière. Problème, ils sont trop longs pour embarquer la nourriture et l’équipement nécessaire. Seule solution : dormir, mais aussi refroidir le corps humain pour diminuer son métabolisme et donc ses besoins.
Le vaisseau spatial Kassandra est sombre, froid et sinistre, et on n’aimerait pas y rester des mois tout seul. L’éclairage est clairement insuffisant, et même si le procédé est éculé, il fait toujours son petit effet. Quant aux couleurs elles sont particulièrement ternes. Bref l’ambiance est tout sauf à la gaité, mais cela colle parfaitement au contexte du film.
Autre élément angoissant, le cargo est entièrement automatique : on n’y trouve pas de salle de contrôle remplie d’écran et de boutons lumineux. Un ordinateur invisible s’occupe seul du pilotage, et les humains n’ont aucun moyen de le paramétrer ou même de communiquer avec lui. Un membre de l’équipage doit même « pirater » les circuits pour avoir une idée de la position du Kassandra.
Cette dépendance envers la machine, où l’humain devient facultatif, est une allusion claire au futur qui se dessine aujourd’hui avec les progrès de la robotique. Et avouons qu’il n’est guère réjouissant.
Les seuls vrais points négatifs : une histoire d’amour sans intérêt et un final expédié, alors qu’il aurait au contraire fallu s’attarder sur la conclusion.
Côté bande son, la version originale du film est en allemand, et même si on ne parle pas cette langue, ça fait vraiment du bien d’entendre autre chose que de l’anglais.
Cargo est donc un film intéressant, surtout psychologique, certes pas un chef d’oeuvre mais une vision du futur qui rompt avec la pesante hégémonie américaine. Il ne plaira pas aux fans de Georges Lucas, mais n’est clairement pas fait pour eux.
Alors que souhaiter ? Que les pays francophones se lancent à leur tour dans le cinéma de SF. Et qu’on ne nous dise pas que cela nécessite un gros budget, la preuve.
Ma note : 4 sur 5